Midi Bascule

S3E24 Chronique d'Olivier - Let’s dance... avec modération?

Danser, c’est jouissif! Certes, mais quelques précautions s’imposent, sous peine de finir grabataire avant l’heure. Démonstration avec cette chronique qui tortille du pelvis.

Marie-Eve: Il y a quelque temps, un spectacle de danse africaine donné au Forum Meyrin fut suivi d’un DJ set d’afrobeat, dans le foyer même du théâtre. Or, une source anonyme m’a confié que si le public, un peu timide, rechignait à se trémousser en nombre dans ce cadre, un drôle d’oiseau a mis sans vergogne le feu au dancefloor. Croyez-le ou non, je parle de notre chroniqueur Olivier! Allez, avoue, c’est vrai cette histoire ou c’est une légende urbaine?

Ouaaaiiis bon d’accord, ramenons les choses à de plus justes proportions: j’ai dansé ce soir-là, j’ai dansé avec plaisir, mais pour ce qui est de mettre le feu, on n'était pas dans un incendie d’envergure travoltienne, hein! Un modeste feu de camp, à peine quelques flammèches...

M.-E.: Mais des flammèches d’afrobeat! C’est dingue ça, moi qui t’imaginais plus volontiers donner dans la gavotte ou le menuet...

Alors cet âgisme est insupportable, madame l’ingénue. Et puis quoi encore? Je devrais fréquenter les thés dansants peut-être? Ou alors m’installer en Tchétchénie, où Kadyrov, le chef de l’État, mi-tyran mi-bouffon, a décidé d’interdire toute musique qui ne se situe pas entre 80 et 116 bpm? Comme ça, bye-bye l’electro, la house, le rap, aucun risque que je me déhanche sur des musiques de godelureau, c’est ça l’idée? Je sais que mon style yaourt ne sera jamais enseigné dans les écoles, mais ce n'est pas une raison pour doucher mon enthousiasme.

M.-E.: Dis voir, qu’est-ce que t’es chatouilleux sur cette question de la danse. Tu aimes ça à ce point?

Tranquille, c’est bon, je n'en fais pas une religion non plus. Mais en effet, après mes jeunes années où la gêne l’emportait sur le plaisir, et maintenant que le regard des autres m’est bien plus indifférent, je trouve cette discipline assez plaisante, limite jouissive. Un peu comme le sport d’ailleurs: tu te donnes, tu te lâches, tu transpires et par moments, quand les astres s’alignent, tu peux même accomplir un beau geste, un enchaînement fluide. En résumé, la danse c’est sensass, ça fait du bien au corps et au moral, ça booste l’ego, je recommande chaudement!

M.-E.: À 100%? Si c’est le cas, y'a un loup là... T’es pas vraiment du genre camelot toi.

On ne peut rien te cacher à toi. Disons que je recommande à 60 ou 70%. La danse, ça doit se pratiquer avec modération, discernement, voire une prudence de Sioux. Pourquoi? me diras-tu. Pour deux raisons principales.

En numéro un, il y a l’aspect puissamment anti-physiologique de certaines postures, en particulier dans le ballet classique. Je pense ici à l’en-dehors, une technique qui consiste à développer le mouvement en rotation externe des jambes, de toute la jambe, du bout du pied à la hanche. Eh bien il se trouve que j’ai le privilège d’être aux premières loges pour assister, sur ma Mme Columbo à moi, sur ma blonde passionnée de danse classique, à l’effet dévastateur de cette technique. Donc je le révèle à la face du monde, l’en-dehors, il n'y a pas mieux si vous voulez par exemple que l’articulation de votre hanche se mette à faire le bruit d’une vieille porte de grange rouillée. Et qui s’en étonnera? À force d’exercer des contraintes mécaniques délirantes sur la tête de votre fémur par exemple, vous vous retrouvez avec des articulations qui râpent, qui râlent, avec des muscles qui dérouillent et des tendons à l’agonie.

Seconde et dernière contre-indication, et pas des moindres: gare aux excès de confiance et à la curiosité galopante! Là aussi, ma blonde fournit un sujet d’étude idéal. Résumé de son état d’esprit récent: la danse c’est génial, je touche le puck, je suis une bête, je peux tout essayer! Y compris, tiens, un cours d’AntiGravity. Je vous explique le truc: il s’agit d’un genre de yoga bâtard qui se pratique emmailloté dans une espèce de hamac suspendu au plafond. Résultat des courses: après sa leçon d’essai, j’ai récupéré en ville une Mme Columbo pliée en deux, avec la démarche d’une petite vieille pluricentenaire, des douleurs profondes en veux-tu en voilà et une impossibilité totale de pratiquer la danse pendant deux semaines minimum. Ah mais bravo, super! Faudrait peut-être que j’investisse mes économies en lançant une nouvelle gamme de cannes orthopédiques, allez savoir, y'aurait du blé à se faire avec toutes les bobos à tutu qui se désarticulent le coccyx...

M.-E.: Au final, malgré ces réserves, tu restes de la team danse?

C’est un grand oui quand même. Il y a dans la danse comme une dimension de folie, de possession, d’exutoire féroce, à l’image des Ménades qui accompagnaient Dionysos en un cortège tourbillonnant. Comme la bacchanale, la danse relève de l’animalité codifiée, chorégraphiée, et il est bon de se retremper parfois dans cette douce sauvagerie aux vertus cathartiques. À condition de faire l’impasse sur les déclinaisons du type yoga en scaphandrier la tête en bas, suspendu à une grue en mouvement et lancé dans des postures emberlificotées...

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Émission diffusée sur Radio Vostok en direct du Service de la culture de Meyrin, le 19 avril 2024
Publiée le 22 avril 2024

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