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S2E11 Chronique de Candice - "Dirty Dancing": danse sale dans une maison propre

Film culte s'il en est, "Dirty Dancing" a marqué les esprits, pourtant Candice ne l'avait jamais vu. C'est maintenant chose faite et elle nous livre son nouveau regard sur cette comédie au final plus politique que romantique (si si).

Grâce à cette émission j’ai enfin pu regarder Dirty Dancing. Je connaissais la musique, je connaissais la chorégraphie avec le fameux porté que j’ai essayé de faire de nombreuses fois lors de soirées alcoolisées, sans succès bien sûr, sinon je ne serais pas là, je serais à danse avec les stars avec Billy Crowford. Mais je ne connaissais pas le film. C’est un peu comme aller au Musée d’Art et d’Histoire, on le fait jamais parce qu’on sait qu’il est toujours là. Dirty Dancing, même combat. En même temps, il y a peut-être un problème avec le titre. « Sale danse » en français, ça donne pas trop envie. Si on sait pas qu’il y a Patrick Swayze et Jennifer Grey, on n'y va pas.

Swayze au scrabble ça doit faire pas mal de points. Enfin je sais pas, j’y joue jamais. Mais à un moment dans le film il y a une scène avec un scrabble. 

Pardon, c'est pas une émission sur les jeux de plateaux. Revenons au titre. En québécois, c’est « Danse lascive ». Là ça donne envie. Bon après avec le doublage québécois ça fait débander. Dans tous les cas, on comprend que le sujet c’est la danse, mais pas que.

Été 1963, Kennedy n’a pas encore été assassiné, les Beatles ne sont pas très connus et il pleut en été. Quelque part dans l’Etat de New York, la famille Houseman part en vacances dans un club med familial de l’arrière-pays. Ambiance cottage et bungalow, pelouse verte bien tondue, belvédère sur le lac et service à table. Au programme : lancer de fer à cheval, criquet, golf, essayage de perruque et beaucoup de cours de danse. Merengue, valse, foxtrot, tango, pachanga, … il y en a pour tous les gouts. Enfin, sauf pour les jeunes qui ont envie de vivre avec leur temps. Comme Baby, qui en réalité s’appelle Frances, en hommage à la première femme du cabinet présidentiel. Baby a 17 ans et rêve de changer le monde, c’est la cadette Houseman, sa sœur Lisa est frustrée car elle n’a amené que 10 paires de chaussure, son père est un médecin renommé et sa mère n’a que cinq lignes de texte dans tout le film. 

Un soir, baby s’aventure dans les bungalow réservés au staff. Et là, elle découvre une grosse soirée avec des jeunes qui dansent collé-serré sur de la bonne musique, de la bière et des énormes pastèques très phalliques. Un samedi soir normal quoi. C’est l’envers du décor de ce complexe hôtelier bien comme il faut. Tout de suite moins classique, on est sur des rythmes afro-cubain et des danses modernes. Mambo, cha-cha-cha, salsa, rock acrobatique, ici on se lâche et on assume son corps et sa sensualité.

Et oui, quelque part Dirty Dancing est un film politique qui oppose le conservatisme de la classe dominante à l’émancipation libérée de ceux qui ne peuvent pas compter sur leurs parents pour réussir. Et qui portent la nuque longue.   

Comme toute histoire de lutte des classes qui se respecte, la jeune et innocente baby va tomber amoureuse du bad boy Johnny, le sulfureux prof de danse qui vient de la rue. Mais quelle tension sexuelle. 58 minutes pour voir le premier baiser, c’est long.

Le film a été long à produire aussi. 42 refus de la part des studios. Personne ne voulait miser sur un film qui parle de la libération d’une jeune femme, et qui est produit et écrit par un duo de femmes à la fin des années 80. Et pourtant. Weinstein a dû être dégouté d’être passé à côté. Eleanor Bergstein, la scénariste, a dû se battre pour garder la partie sur l’avortement qui fait partie intégrante du film puisqu’élément déclencheur du pourquoi du comment baby se retrouve à danser avec Johnny. En 1987, à la sortie du film, l’avortement est légal, contrairement à l’époque du film, et pourtant toujours aussi tabou.

« On ne laisse pas bébé dans un coin » nous dit Johny à la fin du film, les rôles sont inversés, c’est elle qui le pousse à s’affirmer et à devenir qui il est, c’est elle qui arrange les problèmes, et c’est elle qui laisse glisser sa main sur ses fesses. En plus d’être un film sur le dépassement de soi et l’émancipation par la danse, c’est un film sur la fin. La fin d’un monde dépassé, la fin de l’été et des vacances, la fin de l’insouciance des années 50 et des glorieuses d’après-guerre, le licenciement et la précarité des saisonniers, l’avortement.    

Par contre, ce n’était pas encore la fin de l’abondance, malheureusement le lac où a été tourné la scène du porté, est aujourd’hui à sec.

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Emission diffusée en direct sur Radio Vostok, le 18 novembre 2022
Publié le 21 novembre 2022
 

 

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